XXX° colloque de Brive-la-Gaillarde.
« 
Le fait religieux dans une France laïque ».

Le colloque s'est déroulé les 25 et 26 novembre 2005

Vendredi 25 novembre

Accueil du sénateur maire Bernard Murat

Ce colloque est le 30e colloque de Brive.

Le sujet choisi s’inscrit dans une actualité brûlante : problème du foulard, sectes...

La loi de 1905 est une exception dans le monde. L'islam, 2e religion de France, essaie de trouver sa voie dans ce cadre. La modernité de la laïcité : apprendre la tolérance, à vivre ensemble avec deux extrémistes à combattre : laïcisme + intégrisme religieux.

 

Présentation du colloque par Dominique Borne

Dans une présentation générale introductive, D. Borne a expliqué l’innovation de ce colloque : le travail en atelier dans les établissements scolaires.

Puis il a procédé à une analyse des termes de l’énoncé. Le " fait religieux " sonne davantage comme une expression de sociologue que d’historien. Si on fait le lien avec la déclaration des droits de l'homme et notamment l'article 10 (" nul ne peut être inquiété pour ses opinions mêmes religieuses "), le religieux serait donc une opinion ? (Au même plan que le politique ?)

 

Dans la loi de 1905, il n’y a pas le mot de " religion " ou " d’église " (à part dans le titre) mais seulement le terme de " culte ".

Quant au terme de laïcité, il faut attendre 1946 : " l'école a été laïque avant la république ".

La constitution de 1958 rappelle l'égalité des citoyens sans discrimination de religion.

 

Le problème actuel repose sur l'acceptation du pluralisme religieux en France.

Pour traiter ce problème, choix d'éclairages particuliers qui constituent les différentes interventions.

 

Philippe BOUTRY (Directeur de recherche à l’EHESS)

Pluralité religieuse et laïcité en France XIXe XXe siècle

 

Cette idée est inédite : étudier la pluralité religieuse dans un état qui se sécularise.

La pluralité est n'est pas une nouveauté, elle existe déjà sous l'Ancien Régime de fait sinon de droit.

Les juifs sont réputés étrangers ; les protestants sont tolérés.

Le catholicisme est la religion du roi et du royaume.

 

Avec la révolution française, c'est la fin du monopole du catholicisme (article 10 de la déclaration des droits de l'homme).

C'est aussi l'accession des minorités religieuses à la citoyenneté : 1790 pour les protestants, 1792 pour les Juifs (on peut noter que c'est plus tardif pour eux).

Dans le premier code pénal il y a l'élimination des éléments du droit canon dans le droit français.

Le 20 septembre 1792, c'est la laïcisation totale de l'état civil.

Le régime n'est pourtant pas laïc : il s'agit simplement d'une neutralité religieuse de l'État.

D'autant qu'en même temps, il y a la tentative de faire de l'église une église nationale. C'est dans ce cadre, que s’inscrit la lutte contre l'Eglise entre 1793 1795 (tous les lieux de culte fermés, persécutions religieuses).

La " première séparation " daterait du 3 Ventôse an III: l'État se désintéresse des cultes, et ne les finance plus. Cette loi est suivie par une nouvelle phase de persécutions contre les catholiques.

Avec Napoléon Bonaparte, les textes sont plus ou moins négociés : l'idée d'un État pluriconfessionnel fait son chemin.

La reconnaissance des juifs est là encore tardive (1818 : fin des discriminations financières, 1841 les rabbins sont payés comme les prêtres...).

Au final, quatre cultes sont reconnus : catholicisme, protestants luthériens, protestants réformés, juifs.

 

Sous la restauration, le catholicisme est réaffirmé comme religion de l'État.

Alors que dans la constitution de 1848 (article 7), c'est à nouveau l'idée d'un système pluriconfessionnel qui prévaut.

 

Certaines églises protestantes veulent s'organiser en dehors du concordat de 1801. Elles organisent même des missions pour convertir au protestantisme. Celles-ci montrent une grande efficacité dans la conversion et de réelles conséquences politiques (avec l'idée d'un libre choix religieux des individus).

On voit aussi l’émergence des ouvriers, des " esprits forts " ou " libres-penseurs " : certains prônent les libertés et droits de la recherche religieuse en dehors de l'église institutionnelle.

À partir de 1880, les républicains essayent de séparer l'école de l'Eglise.

C'est dans ce contexte et durant ces années que prennent fin les prières publiques à l'assemblée. Les processions sont aussi limitées et surtout dans les villages multiconfessionnels.

 

Les années 60 voient l’émergence de la pluralité religieuse liée à l'immigration de la seconde moitié du XXe siècle : Séfarades parmi les rapatriés d'Algérie, immigration de travail surtout musulmane créant parfois un véritable "melting-pot religieux".

Le catholicisme français devient pluriel aussi (immigrés les Antilles, de la réunion, de Pologne...) et développe sa propre sensibilité.

À cela il faut ajouter les nouvelles églises protestantes (les évangéliques représentent un tiers de protestants français). Le poids quantitatif de l'Islam se développe surtout après les années 60 ; aujourd'hui il y a environ 5 millions de fidèles, surtout sunnites.

Leur pratique religieuse est cependant inégale.

On peut aussi ajouter :

- 300 000 Arméniens

- 150 000 catholiques de rite oriental

- 600 à 700 000 sympathisants bouddhistes

- 150 000 hindouistes

- 120 000 témoins de Jéhovah.

 

Dans le seul département du Val-de-Marne (1,25 millions d'habitants, 87 nationalités), c'est une véritable mosaïque religieuse. Le conférencier qui enseigne l'histoire religieuse à Paris 12 est confronté à des sujets de maîtrise variée portant sur tous les aspects de la croyance (ex: la voyance et sa clientèle...).

 

Philippe Boutry termine en étudiant deux termes essentiels :

 

Sécularisation

 

Elle s’opère selon 3 niveaux :

- de la société englobante (champs entiers de la société)

- des institutions religieuses

- interne aux religions elles-mêmes

 

Appartenance religieuse Pratique religieuse

1872 : 98 % catholiques

2005 : 2/3 catholiques 1950 : 1 sur 2 pratiquant religieux (critère  = messe au moins 1 fois/mois)

2005 : 8-10 % pratiquants

 

Obsèques religieuses résistent mieux à l’érosion.

A l’inverse, c’est l’effondrement de la catéchèse : 1950 : 50 % enfants au catéchisme ; 2005 : 25 % seulement.

 

A cela, s’ajoute le problème de renouvellement des prêtres.

L’ensemble constitue une perte d’emprise, de mémoire, de culture pour le catholicisme.

 

L’Islam connaît lui aussi une pratique faible (autour de 30 %), plus forte chez les Marocains que chez les Algériens.

 

Dans une situation de pluralité religieuse, les confessions tentent d’être de plus en plus visibles.

Alors que la cathédrale de Créteil bâtie en 1974 (par un architecte protestant avec la volonté d’en faire une maison d’Eglise modeste, presque écrasée par les tours environnantes), celle d’Evry plus récente cherche à se singulariser (Pour JP II, cette cathédrale doit être " visible, repérable "). La situation socioreligieuse de cette ville l’explique : à Evry, il existe 23 édifices religieux (dont la plus grande pagode de la Région Parisienne).

 

Laïcité

La loi de 1905 n’est pas fondée sur la pluralité religieuse, malgré l’article 1 qui évoque le mot " cultes " avec le pluriel.

La séparation est conçue dans une logique individuelle ; d’où la nécessaire organisation pour les religions en associations cultuelles. Avec l’article 8, en cas de litige entre plusieurs associations cultuelles, l’arbitrage est opéré par le conseil d’état.

Les tensions restent importantes entre laïcité et la reconnaissance d’une pluralité religieuse. La loi est vite acceptée par les protestants et les Juifs. Pour les catholiques, c’est seulement en 1923 (avec la création d’associations diocésaines).

 

Conclusion

2005 constitue le 1er centenaire de cette loi.

Les catholiques approuvent globalement ce régime de laïcité mais regrettent l’incompétence de l’Etat en matière religieuse.

La loi de 1905 est acceptée comme une loi de liberté et parallèlement, l’Etat français tenté par des manœuvres néo-concordataires (création d’un centre français du culte musulman).

Si dans l’article 2, il est dit que la République ne reconnaît aucun culte, elle doit toutefois " connaître " les cultes.

 

Questions de la salle

  • Est-il opportun de retoucher cette loi ?

Il existe un vaste consensus autour des principes de laïcité. C’est donc risqué de rouvrir la discussion, " la boîte de Pandore " (Lustiger). Les principales critiques qu’on peut lui faire, portent sur le financement des lieux de culte et des écoles. Pour N. Sarkozy, la loi finance le culturel mais pas le cultuel avec une injustice faite à l’Islam. Il ne dispose pas en effet de paysage architectural comparable à celui des églises. Rappel : la loi de séparation n’est pas une " arche sainte " ; elle a déjà été retouchée pour des points mineurs.

  • Existe-t-il des congrégations musulmanes reconnues ?

Les confréries musulmanes se rapprochent le plus d’une congrégation.

C’est une union de piété autour d’un fondateur couplé avec un organisme social. L’Islam en France se développe dans le cadre de la loi de 1901 sur les associations.

  • Qu’est-ce qu’une secte ?

Littéralement, c’est un groupe dans lequel les droits fondamentaux de l’individu ne sont ni respectés ni reconnus par l’Etat : " Eglise qui n’a pas réussi " ? Les sectes n’acceptent pas cette dénomination (les Témoins de Jéhovah refusent d’être qualifiés comme secte).

  • Liens entre le secret de la confession/justice ?

Le droit français ne connaît que ses lois même si la jurisprudence se montre respectueuse des cultes. Les cas sont rares de toutes manières, la confession tend à devenir minoritaire chez les catholiques.

  • Soutiens politique français sur une base religieuse, avec les Maronites libanais ?

La situation complexe, les Maronites étant eux-mêmes profondément divisés. L’université la plus laïque de Beyrouth est celle des Jésuites ! Peu de schémas explicatifs simples.

  • Mosquée de Paris dépendante de l’Algérie ?

Il y a un équilibre subtil au sein du Conseil de l’Islam de France. La Mosquée de Paris a été financée par l’Etat français pour remercier soldats musulmans ayant combattu pendant la seconde Guerre Mondiale. Elle est traditionnellement tenue par les Algériens. L’Islam turc ou pakistanais n’y est pas représenté.

 

Claude PRUDHOMMME (Professeur à l’Université Lyon Lumière 2)

Missions chrétiennes et missions laïques françaises

La Laïcité peut être parfois missionnaire.

La notion de mission apparaît au XVIIe siècle.

L’existence d’une mission laïque française a pour objectif de fonder sur le modèle religieux, une mission concurrente pour promouvoir la laïcité.

Elle est fondée en 1902 (entre la loi de 1901 sur les associations et la loi de 1905).

8 juin 1902 : association de la mission laïque française :

- article 1 : but : " propagation de l’enseignement laïc dans les colonies et à l’étranger "

- article 2 : présence d’une autorité centrale

- article 3 : établissements fondés par la mission, prosélytisme interdit : cas paradoxal d’une mission non prosélyte ! Le projet est basé sur un enseignement adapté aux indigènes, scientifique et rationnel.

 

L’Enseignement laïc se veut donc moderne et adapté ; et en aucun cas prosélyte.

 

Qui sont les missionnaires ?

(Rappel à titre de comparaison, en 1902 : 7 à 8000 religieuses catholiques dans le monde)

Pour les former, on décidé d’une fondation d’une école normale avec bourses.

Le 1er programme en 1903-1904 porte sur : " Morale et éducation " ; France dans le monde ; rapports avec les colonies.

 

Sur quel terrain s’implanter ?

La mission laïque se heurte au refus de coopérer du quai d’Orsay (déjà en délicatesse pour conserver les congrégations religieuses hors de France).

La zone choisie est donc l’empire ottoman. L’exportation de la laïcité se fait dans des territoires étrangers dominés par l’Islam.

 

Ordre de mission ?

Qui légitimait l’action outre-mer ?

Le projet venait d’un inspecteur de l’enseignement, Pierre Deschamps (ayant lui-même connu Madagascar).

Le missionnaire laïc se veut envoyé par la société laïque issue de la révolution française.

Il en est à la fois le porte-parole et l’avant-garde de la nouvelle société.

La mission laïque est soutenue par la ligue de l’enseignement, le Grand Orient, les radicaux…

 

Moyens d’information ?

Bulletin créé : la Revue de l’enseignement colonial.

 

 

Pourquoi cet idéal révolutionnaire ?

S’agit-il d’un archaïsme ? La laïcité se définit en combattant et en mimant le catholicisme. La mission laïque est conservée jusqu’en 2000. Elle s’inscrit dans une vision de l’Histoire marquée par la philosophie des Lumières.

Elle pense avoir un " Mandat " de diffuser un idéal de progrès : l’aboutissement d’une Histoire. Avec une dimension utopique : construire monde fondé sur la tolérance, la raison, les Droits de l’Homme.

" Opposition à l’autre projet missionnaire catholique défini en négatif.

 

Questionnement central pour leur mission éducative : qu’est-ce qui est universel dans les Droits de l’Homme ? Où réside l’universalité de la laïcité ?

Pour le fondateur, l’idée de mission laïque est apparue comme une illumination. La mission laïque veut être aussi un prolongement de l’héritage culturel des Indigènes.

Mais très vite Pierre Deschamps est écarté du mouvement.

 

Le nombre des missions laïques est en augmentation en terre d’Islam car elles prônent une neutralité religieuse (à l’inverse des missions catholiques qui ont but la conversion). Mais aux yeux des populations locales, elles dispensent un enseignement matérialiste et athée. Le discours évolue après 1914. Cet enseignement se définit par sa qualité et la civilisation française (langue française à l’école).

 

Les années 30 voient une erreur de stratégie pour certains directeurs d’établissement, notamment en Egypte ; ils souhaitent en effet utiliser d’autres langues pour l’enseignement, notamment l’arabe et l’anglais (pour l’adaptation à la clientèle).

2 questions nouvelles se posent alors :

- les choix linguistique et leurs enjeux

- culture française et culture locale

 

Après 1945, c’est une période de difficultés qui s’ouvrent.

Le feu est mis à la mission laïque à Alep (Syrie).

L’image de la présence française ne passe plus.

Deux solutions de repli :

  • les élites locales (grâce à la qualité de l’enseignement)
  • les Français expatriés (mais risque de dissolution de la spécialité des missions laïques)

 

Dans les années 70, le modèle est en crise. Les missions laïques font le choix de la discrétion et cachent leurs principes et appartenances sociales. Cette crise s’inscrit plus largement dans une période de doutes : " relativité du modèle français ".

 

Les missions laïques organisent en 2002 un colloque sur le thème : " la laïcité est-elle exportable ? ". La réponse apportée par les professeurs de missions laïques présents à ce colloque, est surprenante puisqu’ils concluent par la négative !

L’attitude se veut en tout cas plus modeste pour la laïcité qui se définit comme une règle du jeu pour la rencontre interculturelle.

 

Nouveaux enjeux :

  • Comment concilier promotion laïcité et enseignement réservé aux élites ?
  • Comment s’affranchir de la religion, qui est une donnée de la vie sociale ?
  • Comment s’accomoder de la religion, langage d’organisation avec la société ?

Questions de la salle

Pourquoi ce manque de missionnaires laïcs ?

Les missionnaires laïcs étaient très coûteux par rapport aux missionnaires religieux.

D. Borne rappelle dans ce contexte le rôle de l’AEFE (Agence de l’Enseignement Français à l’Etranger) : réseau le plus important du monde ; exportation du modèle français, sans le militantisme laïc des missions laïques.

 

Isabelle SAINT-MARTIN, Maître de conférence à l’école pratique des Hautes Etudes

" Quelle place pour l’art religieux, entre laïcité et sécularisation ? "

 

Conférence dense, parfois complexe à suivre.

En voici les idées principales.

 

La sécularisation est un processus non linéaire ; elle connaît en effet des " à coups ", retours, non concordances chronologiques selon les champs. Ces liens complexes s’observent aussi par le rapport entre l’art et le religieux.

En 1802 dans Le Génie du Christianisme, Chateaubriand défend la religion par sa beauté, qui illustre sa supériorité.

A la fin du XIXe siècle, Marcel Proust s’oppose aux projets laïcs avec un point de vue artistique. Selon lui, il existe une obligation pour les " gens de goût " de subventionner le culte.

Pour Mérimée, le patrimoine religieux n’appartient pas à l’Eglise mais à la Nation, à ces " gens de goût ".

25 mai 1906 : les cathédrales sont classées monuments historiques ; avec le mouvement de classement, protection par l’Etat des édifices religieux.

 

La présence d’un lieu culturel dans la cathédrale d’Evry est un moyen juridique de contourner l’interdiction de subventions par l’Etat (idem pour la Grande Mosquée de Paris).

 

La question se pose d’autant plus avec l’artiste croyant. Cela entraîne de grands débats au XIXe siècle.

Ex : Maurice Denis du mouvement Nabi ; il crée en 1919 les " ateliers de l’art sacré ".

L’art religieux se renouvelle en s’appuyant sur des artistes croyants mais aussi en faisant appel à des artistes pas forcément chrétiens pour représenter de l’art sacré (ex : Fernand Léger, proche des Marxistes ; Matisse : " je crois quand je peins ").

Les commandes sont en partie subventionnée par l’action de l’Etat.

 

On distingue aussi des traces d’interrogation religieuse dans l’art contemporain.

Ex : " autoportrait de Gaughin au christ jaune " (artiste prophète, avec dimension christique).

Il y a un réel mouvement de la figure christique dans l’art contemporain ; figure du Christ réutilisable dans l’art contemporain (Chagall en 1938 : crucifixion blanche " figure allégorique du peuple juif crucifié).

Le thème de la piéta très apprécié aussi des artistes.

Les thèmes religieux sont aussi souvent récupérés, y compris dans la publicité (ex : campagne utilisant l’image de la Cène).

 

Le christianisme devient donc un réservoir de formes et de symboles qui influencent la culture même si ce ne sont pas les thèmes dominants.

La lettre de la conférence des évêques en a toutefois précisé l’usage : ces symboles sont à la disposition de tous mais pour en faire n’importe quoi.

 

VENDREDI 26/11 Après-midi

15-17 h

Atelier au lycée Cabanis ; 1 intervenant (Claude PRUDHOMME) + 2 classes d’élèves.

 

Le fait religieux : la science, la foi

 

Ce couple représente 2 forces, 2 logiques opposées par nature ?

Pendant longtemps, la science n’a pas été un problème pour la religion.

Au Moyen-âge, les gens ayant du temps pour se consacrer à la science étaient des hommes d’Eglise (clercs). Les Choses se compliquent à partir du XVI-XVIIe siècles.

 

Le début du problème est vers 1500 en Pologne avec le chanoine Copernic.

Selon l’héritage de la pensée des Grecs, le monde était conçu alors comme un univers fini, ce qui correspond totalement à la pensée chrétienne (forme parfaite du cercle, chaque planète à sa place etc.).

Avec Copernic, on commence à se poser des questions sur la véracité de ces théories.

Son hypothèse est que peut-être, la Terre n’est pas le centre de l’Univers.

Il ne cherche pas le conflit (d’autant que les réactions sont rapides, y compris chez Luther ; ce qui indique qu’il ne s’agit pas d’un problème strictement catholique).

 

L’affaire principale est toutefois celle de Galilée. Elle incarne la révolte des savants comme la prétention de l’Eglise catholique à imposer une vérité contre la science.

Galilée est condamné par un tribunal de l’inquisition à aller dans une retraite.

Pourquoi à cette époque un conflit entre Eglise et savants, alors qu’avant, c’était plutôt une complicité entre eux ?

Les archives ont été toutes étudiées.

L’Hypothèse centrale est la suivante : Galilée mal perçu par l’Eglise catholique car il est laïc. C’est un esprit qui avance de sa propre autorité, qui avance des hypothèses contre l’Eglise ; il souhaite donc substituer son autorité de savant à celle de l’Eglise.

Certains Jésuites vont se montrer partisans de la théorie de Galilée.

Le savant fait fonctionner sa raison, tente de comprendre.

 

Au Moyen-âge, les théologiens tentaient de démontrer Dieu par la raison ; la raison et la foi étaient mêlées. La raison rencontre la révélation (la Bible) et la Foi est le résultat de cette rencontre.

Avec Galilée, la frontière entre le domaine du savant (la raison) et la foi s’installe. L’Eglise n’a jamais accepté cela (la dernière encyclique de Jean-Paul II porte sur " foi et raison " ; selon lui, les deux ne sont pas antinomiques).

 

Il est à noter toutefois la faiblesse du raisonnement de Galilée et son absence de preuves ; il ne dispose que d’indices liés à des observations (la preuve sera donnée au XIXe siècle avec le pendule de Foucault).

 

Au XVIIIe siècle, les philosophes critiquent l’Eglise et les bases du dogme.

 

Au XIXe siècle, nouvelle affaire : l’affaire Darwin. Elle s’inscrit dans 4 grands courants de remise en cause des dogmes " scientifiques " de l’Eglise.

 

  • les géologues anglais tentaient de dater l’âge de la Terre, dans une optique de remise en cause des chiffres donnés par la Bible (6000 ans). La question des textes sur la genèse se pose donc pour les scientifques.

 

  • Les naturalistes relaient ce mouvement. Ils tentent par le biais d’échantillon de plantes et de planches d’animaux, de constituer des chaînes. C’est dans ce contexte qu’intervient Charles Darwin. Il a deux idées majeures : celle d’un temps long et la filiation. Si on applique cette grille de lecture, l’homme a des ancêtres communs avec d’autres espèces (idée résumée souvent par la phrase " l’homme descend du singe "). La Bible dit tout à fait autre chose : l’homme a été créé, avec un statut supérieur aux animaux. L’Eglise condamne donc l’idée que l’homme ne puisse être qu’un animal supérieur.

 

  • Historiens. La méthode historique d’analyse des documents, de l’étude du contexte et du regard critique est appliquée à la Bible. Les historiens et théologiens allemands veulent analyser la Bible avec cette méthode (1830-40). Ces recherches vont aussi être condamnées.

 

  • Psychanalyse. Pour Freud, la croyance religieuse est une maladie à soigner avec une thérapie. Pour lui, la religion est une névrose, un infantilisme psychique.

 

Face à ces attaques, quel est le point de vue de l’Eglise ?

Le problème de Darwin est réglé progressivement. L’intérêt de nombreux curés (en particulier dans le Sud-Ouest de la France) pour la préhistoire est une façon de s’interroger sur l’origine des espèces.

L’Eglise met aussi en place l’exégèse, c'est-à-dire la critique historique des textes.

Elle conclut que la Bible a été écrite sur des centaines d’années avec de nombreux auteurs différents et des documents de toutes natures. Dieu, selon l’Eglise, ne dicte pas la Bible mais inspire les rédacteurs.

 

Les autres religions sont confrontées aussi au débat Foi/Raison.

 

Pour le Judaïsme, c’est plus compliqué. Le Judaïsme étant lui-même l’interprétation de la Bible (Talmud), il accepte l’idée de plusieurs conceptions. Le problème se pose davantage sur la véracité historique de certains personnages bibliques (comme Abraham ; selon les Historiens, il n’y a aucune trace, le personnage est sûrement inventé).

 

Si dans l’Islam, il n’y a pas de récit de la création du monde, le problème se pose pour la critique du Coran. Ce livre sacré est considéré comme la copie d’un ouvrage dont l’original est au ciel ; c’est un livre dicté : quelle autorité peut-on avoir pour critiquer la parole de Dieu ?

De même, la véracité historique de Mahomet est difficile à établir ; il n’y a aucune information biographique le concernant dans le Coran. Sa biographie a été écrite bien après.

 

Les rapports entre Science et Religion sont donc compliqués.

La Science n’est pas non plus la vérité absolue (Darwin n’a élaboré qu’une théorie de l’évolution).

L’enjeu pour la Religion est de faire comprendre que le fait de croire peut être un acte raisonnable.

 

Questions par les élèves du lycée

  • La religion a-t-elle influencé la recherche historique ?

Les lois dans le monde sont celles que Dieu a établies. Comprendre le monde, c’est être un bon chrétien.

A partir de Galilée, les scientifiques disent que l’Eglise relève du domaine de la Foi et non de la science.

Certains chrétiens choisissaient des domaines peu exposés (comme la préhistoire). Il est difficile aussi d’associer foi et psychanalyse (Françoise Dolto était chrétienne et psychanalyste).

  • Quelles sont les raisons des évolutions de l’Eglise face à la Science ?

Les faits sont têtus : l’Eglise a du se résigner à l’évidence.

Le problème lors du procès de Galilée, c’est qu’il n’y avait ni évidences, ni preuves.

L’Eglise aurait pu accepter cela comme une hypothèse mais pas comme une vérité. Face aux preuves irréfutables, l’Eglise a du se soumettre.

Pour l’ancien cardinal Ratzinger devenu pape, la foi et la raison sont compatibles ; l’opposition est un quiproquo (entre une foi mal placée et une raison mal expliquée).

  • Que penser du créationnisme et de sa diffusion aux Etats-Unis actuellement ?

Rappel de définition. Il existe un courant dans le protestantisme américain opposé aux exégètes (fondamentalistes). Le créationnisme qu’on leur associe, n’est cependant pas si caricatural qu’on peut le croire. Il repose sur l’idée d’un dessein intelligent ; le monde ne serait pas le fruit du hasard ou de la nécessité mais il aurait été guidé dans sa création par une puissance suprême (si le monde était un ordinateur, Dieu en serait le programmeur).

Cette doctrine s’inscrit bien dans la pensée protestante : Dieu est inaccessible, il doit se révéler (le Christ ainsi pour suivre la métaphore, aurait apporté " les logiciels ").

Le président George W. Bush a demandé que les deux conceptions (la doctrine évolutionniste et créationniste) apparaissent côte à côte dans les manuels.

  • Copernic et Galilée ont-ils poursuivi leurs recherches après leur condamnation ?

Galilée a continué à écrire mais sur d’autres sujets (comme la chute des corps). Copernic s’est montré plus prudent (parution de ses travaux qu’à sa mort).

  • Copernic, Galilée et Newton ont-ils travaillé seuls ?

Ils disposaient d’un réseau de correspondants. Galilée écrivait par exemple au pape qui va le faire condamner.

  • Quand la théorie héliocentrique de Copernic a-t-elle été acceptée par l’Eglise ?

Officiellement, seulement par l’encyclique de 1992 ! Le pape ne veut pas contredire un prédécesseur et donc essaye de contourner la question. On laisse enseigner la vérité (les idées coperniciennes sont reprises dans les universités jésuites au XVII-XVIIIe siècles) mais on ne revient pas sur une erreur.

  • Une puissance comme les Etats-Unis ne devrait-elle pas être laïque ?

C’est déjà un Etat laïc, le 1er d’ailleurs historiquement à séparer l’Eglise et l’Etat (en 1787). Les Américains pensent d’ailleurs que la France n’est pas un Etat laïc (car hostiles aux groupes religieux, qualifiés ici de " sectes " comme la Scientologie).

La conception américaine de laïcité est de mettre toutes les religions à égalité. Les idées laïques dans la constitution sont réduites au minimum (à l’inverse de la loi de 1905 qui fait 15 pages ; dans la conception française, tout doit être prévu par la loi).

La laïcité américaine sépare moins la sphère publique et sphère privée. La difficulté pour les Français est d’admettre que leur modèle de laïcité n’est pas le meilleur et que d’autres peuvent fonctionner aussi.

Cf. pour poursuivre sur le sujet, le numéro spécial du magazine La Recherche " Science et foi ", paru en 2004.

 

Vendredi 25/11 (soir)

Conférence : Dominique BORNE (Doyen honoraire de l’Inspection générale) et Hélène BELLETTO-SUSSEL  (IG d’Allemand)

" La Laïcité et le fait religieux à l’école en Europe "

 

Il existe une obligation légale de laisser du temps pour un enseignement religieux (depuis 1882).

 

En introduction, 3 dates majeures :

1905 : possibilité d’avoir un enseignement religieux (surtout pour établissement avec internat) : aumônerie.

1959 : Loi Debré ; l’Etat accepte les frais de l’enseignement et les salaires des enseignants dans les établissements privés catholiques ; en échange, l’enseignement doit être le même que dans le public.

Cette loi rappelle que l’enseignement privé sous contrat doit accepter les élèves sans discrimination (pas de refus notamment des non-catholiques).

2004 : loi sur les signes religieux. Elle légifère sur la laïcité des élèves (en 1882, il s’agissait de la laïcité de l’école).

 

Le fait religieux a toujours été enseigné : l’Islam est vu en 5ième ; la religion égyptienne et gréco-romaine en 6ième. Pas de nouveauté législative dans l’enseignement du fait religieux.

 

En Angleterre, il existe 7 à 8 dénominations pour le cours de religion (selon celle-ci : Bouddhisme, christianisme…), soit l’affirmation du communautarisme.

 

En Allemagne, la situation est rendue plus complexe par le découpage en Länder.

La pratique la plus fréquente est un cours de religion catholique ou protestant. Les professeurs de religion ont fait des études spécifiques (l’intervenante a rapporté l’histoire d’un ancien professeur de marxisme de la RDA qui s’est reconverti professeur de religion dans l’Allemagne réunifiée).

L’objectif de cet enseignement est très moral ; il repose sur un choix de textes cités dans les programmes (par exemple, des chants religieux, des poèmes d’auteurs connus).

Le Judaïsme et l’Islam sont enseignés aussi mais moins que la morale et l’histoire culturelle du christianisme.

 

La morale en France est une morale républicaine. La morale enseignée ne peut donc pas être religieuse mais laïque et civique.

 

La principale difficulté dans cet enseignement particulier du fait religieux concerne l’Islam. Il n’est pas suffisamment inscrit dans une progression historique et son apprentissage manque de variétés dans les approches (l’Islam d’Afrique du Nord n’est pas identique à celui d’Asie).

Le judaïsme est aussi trop étudié selon l’angle des persécutions et pas suffisamment sur les caractéristiques propres de cette religion.

 

Dominique Borne, en réponse à une question posée, a insisté enfin sur les nombreuses erreurs des manuels scolaires au sujet de la religion (par exemple, les manuels affirmant : " Jésus fit des miracles "). Il a rappelé que le ministère de l’éducation nationale n’avait aucun contrôle sur le contenu des dits manuels et que les professeurs devaient se tenir à une stricte déontologie : " les évangiles disent que Jésus fait des miracles " ainsi qu’à une rigueur toute scientifique (un livre pour

Compte rendu effectué par un professeur de l'Académie d'Orléans-Tours :

Stéphane GENET, Tours

 

HISTOIRE - GEOGRAPHIE - EDUCATION CIVIQUE -   ACADEMIE D'ORLEANS-TOURS
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